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Femme de plume

Femme de plume

One Feather Maiden by Jonnie Kostoff

La jeune Bayia avait un rêve. Oui, depuis l'enfance elle rêvait de devenir femme de plume.

Dans son village, la plupart des femmes se destinaient à devenir des femmes de terre, de mer ou de feu . Ses deux  sœurs avaient ainsi suivi ce même destin réservé à leurs semblables depuis des générations. En effet, Hanouka l'aînée embrassait la voie du feu et la cadette Diniu celle de la terre. Aussi, Bayia,qui était la plus jeune des trois aurait dû selon la loi traditionnelle tribale rejoindre le clan des femmes de mer.

 

 Son père, un homme robuste et peu loquace, l'encourageait à suivre sa voie.

- Ma fille, ton destin de femme se présente à toi ; tes sœurs avant toi ont défini ton choix selon la tradition familiale elles te veulent femme de mer. Bayia aimait son père et admirait sa force ; quant à sa mère , Noumé, elle était née muette et le clan avait estimé que sa différence ne pouvait faire d'elle qu'une femme de rêves...

Depuis quelques mois,Bayia remarqua des changements dans son corps. La treizième année , ses sœurs lui expliquèrent qu'elle était devenue fertile et lui montrèrent comment récolter son sang dans la coupe familiale et Hanouka lui ordonna de partir ainsi visiter la vieille sorcière du village.

- C'est ton premier sang, vas le donner à Senasa tout de suite 

La tradition exigeait que dès qu'une jeune fille avait ses règles, elle devait consulter la plus ancienne femme du clan et lui offrir son sang de jeune vierge.

- Pourquoi ? se plaignit Bayia

- C'est la tradition ! Tu ne discutes pas Bayia , sa soeur pointa la case de la vieille.

En effet, la vieille sorcière guérisseuse avait besoin de la pureté des jeunes vierges pour préserver ses pouvoirs et prolonger sa vie. Ainsi, depuis la nuit des temps, elle s'abreuvait chaque mois du sang virginal et en échange donnait protection et fertilité à l'utérus de la jeune fille.

 

D'une main délicate, Bahia écarta la toile de la yourte. Sa coupe menstruelle reposée dans le creux de son autre main. Elle se rappela que ses sœurs lui avaient raconté que la vieille pleurait sans cesse depuis la grande malédiction. Mais de quelle malédiction voulaient-elles parler ?

Elle entra et Senasa lui offrit son plus beau sourire. Bahia eut un mouvement de recul à la vue de la bouche entièrement édentée de la vieille.

- Viens ici près de moi que j'admire ta beauté lui lança la vieille d'une voix rauque.

Bahia s'assit près d'elle et lui présenta d'une main légèrement tremblante sa coupe. Cette vielle doit au moins avoir mille ans ! Ses yeux sont à peine visibles ; Bahia eut l'impression de deux minuscules cratères perdus au milieu d'une vallée de rides profondes. Aussitôt la vielle lui répondit par la pensée : et oui je suis presque aussi vieille que la coupe qui contient ton sang. Bahia ne fut pas surprise de l'entendre, elle avait été avertie du pouvoir de Senasa.

 

- Attention Petite aux pensées qui traversent ton esprit, elles risquent de prendre vie lui dit-elle avec tendresse en passant ses doigts noueux dans ses cheveux.

- Tu as grandi, à ton tour te voilà devenue une femme, elle disait cela en pleurant mais sans aucune expression de tristesse sur son visage. Merci pour l'offrande sacrée.

Bahia avait envie de partir maintenant sa mission accomplie.

La vieille posa une main sur son bras :

- Alors dis moi combien voudrais tu d'enfants ?

- Deux, comme mes sœurs, déclara Bahia avec fierté.

Aussitôt la vieille sorcière -guérisseuse se mit à psalmodier en chuchotant la tête inclinée au dessus de la coupe pleine de sang. Elle s'arrêta une première fois et but une gorgée puis répéta le même rituel deux autres fois. Pendant ce temps, Bahia oublia de contrôler ses pensées qui l'emmenèrent vers ses rêves.

La cérémonie terminée, la jeune fille revint à la réalité et remarqua que la vieille n'avait pas encore tout bu. Pourquoi en a-t-elle laissé ainsi au fond de la coupe ? Son sang était -il mauvais ? Empoisonné peut-être ? Elle est peut-être malade et ..

- Tais toi donc ! cria la sorcière le visage criblé de larmes.

Bahia se figea à la vue effroyable de la bouche édentée maculée de sang.

-Laisse moi travailler, j'ai besoin de calme, tu penses trop sa voix s'était radoucie .

Elle alluma une bougie : - tiens  et surtout ne lâche pas la flamme du regard.

 

La fille obéit tandis que la vieille se mit à brûler des herbes sèches dans un pot en terre. Très vite la fumée envahit complètement la yourte et l'air restait pourtant respirable.

Le spectacle qui se déroula sous les yeux de Bahia par la suite resta un mystère. Elle était comme hypnotisée par la flamme de la bougie à tel point qu'une partie d'elle sembla lui échapper. Elle crut voir des formes étranges apparaître dans la fumée et la vieille avait disparu même si sa présence restait perceptible à ses côtés.

 

Au bout d'un temps qui lui apparut une éternité, Bahia se réveilla; la lumière de la bougie était à présent éteinte et plus aucune volutes de fumée ne flottait dans la yourte. Seule restait l'odeur parfumée des herbes brûlées. Elle fut stupéfaite de trouver la vieille allongée paisiblement sur sa natte les yeux fermés. Elle pensa que la cérémonie était terminée et se leva. Soudain un rire éclata dans la yourte. Pour la deuxième fois, la fille eut peur. C'était la vieille guérisseuse qui riait. Son corps rabougri tressautait sous les à-coups saccadés de son rire. Bahia la regardait : elle semblait si petite, presque comme une enfant avec son visage plissé de ses mille ans d'âge. Elle s'arrêta net , se redressa :

- Dis donc  ma belle, pour devenir une femme de plume tu devras me donner plus !

La clairvoyance de la vieille était extraordinaire.

- Alors parle fille ! Ne deviens pas femme de rêves, tu n'es pas une muette comme ta mère toi; tu vas délier les langues; viens t'assoir, ordonna-t-elle à Bahia.

Mais que me veut-elle encore se dit la fille

- Ton sang, ma belle ! bondit la vieille

- Mais je viens de te le donner

- Non pas celui-là  ma beauté, pas celui-là; tu dois sacrifier du sang de tes veines si tu veux vraiment devenir une femme de plume car ici il n'y en a point et je serai la seule à pouvoir t'aider.

- Pourquoi ? S'inquiéta Bahia 

 

Je vais te raconter une histoire.

Autrefois, dans ce village où tu as grandi ma beauté, il a existé un clan de femmes de plumes. Au début, elles étaient respectées et aimées; leurs plumes étaient puissantes, leurs mots guérissaient, leurs paroles soignaient et elles étaient aussi très belles. Hélas, certains hommes du village ont commencé a en avoir peur car elles ne pouvaient plus devenir des femmes de terre et de mer; le problème étaient que leur aura resplendissait et les jeunes filles commencèrent à les admirer au point de vouloir leur ressembler et renoncer ainsi à leur destin.

Alors, une nuit de ténèbres, ces hommes au cœur plein de peurs se sont réunis et ont pris la décision pour la survie du clan et des traditions ancestrales de s'en débarrasser. La vieille était très émue, sa voix chevrotait, elle poursuivit. Alors ils ont mis le feu à leur yourte et tout le monde crut à un accident. Toutes périrent sauf une. Un seule d'entres elle était partie très  tôt le matin déposer son sang menstruel dans une coupe au fond de la forêt. Evidemment, sur le chemin du retour, elle avait bien senti que quelque chose n'allait pas et avait hâté son pas. Elle avait vu les flammes de toutes les couleurs s'élevaient comme des colonnes dans le ciel noir. Mais elles était arrivée trop tard et depuis les larmes versées ce jour là n'ont plus jamais cessé de couler.

 

Bahia comprit que la vieille guérisseuse avait été cette femme de plume rescapée. Oui c'était bien elle.

De leurs mains serrées l'une dans l'autre émanait une chaleur incroyable que Bahia sentit remonter le long de ses bras et circuler dans ses veines.

 

Du bout de l'ongle , la vieille lui pique le doigt, le sang sortit rouge vif instantanément. Bahia sourit comme si à cet instant-là, elle acceptait le destin qu'elle avait choisi.

Avant de quitter la yourte la vieille l'interpella une dernière fois par la pensée :

- N'oublies pas que la mort n'existe pas ; maintenant que tu es là mon corps peut partir et mon âme reste en toi car à jamais et pour toujours dans l'éternité nous, femmes de plumes sommes reliées dans la transmission. 

A présent, ses yeux étaient aussi secs que le reste du sang au fond de la coupe.

 

Le lendemain matin Bahia se réveilla avec le sentiment d'avoir grandi. Il lu isembla que tous et tout avaient changé autour d'elle. Elle comprit qu'elle était devenue femme de plumes. 

Elle se leva, ouvrit son premier carnet , pensa à la vieille guérisseuse et écrit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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